« The Sacred Book » raconte son épopée en France
Avant de m’embarquer dans la poche d’un treillis d’un GI, il y eut une veillée d’armes. L’aumônier lût la recommandation qui se trouvait en première page : « As Commander-in-Chief I take great pleasure in commending the reading of the Bible to all who serve in the armed forces of the United States. Throughout the centuries men of many faiths and diverse origins have found in the Sacred Book words of wisdom, counsel and inspiration. It is a fountain of strength and now, as always, an aid in attaining the highest aspirations of the human soul. Very sincerely yours, Franklin D. Roosevelt »
Dans le texte suivant, le président américain encourageait de se reporter à moi pour trouver du secours en cas de besoin dans les circonstances suivantes : la peur, l’anxiété, la menace d’un désastre, le découragement, faire face à une crise, l’abandon d’amis, la nostalgie de son foyer, la protection de Dieu, la nécessité de paix intérieure, le besoin de prière, la tentation, la maladie ou la souffrance, le grand chagrin, la tentation, la reconnaissance, le trouble, et l’épuisement.
Aussi, on devait se reporter à moi pour trouver l’enseignement de Jésus au sujet de quelques problèmes de la vie. (Je ne me rappelle plus de tous les détails, mais la liste était longue !) Et enfin, on devait se reporter à moi pour cultiver des traits positifs, divisés en trois parties : les qualités physiques, les qualités mentales et les qualités spirituelles.
Le rassemblement se termina par la prière collective « The Lord’s Prayer » : « Our Father which art in heaven, hallowed be thy name. Thy kingdom come. Thy will be done in earth, as it is in heaven. Give us this day our daily bread. And forgive us our debts as we forgive our debtors. Lead us not into temptation, but deliver us from evil, for thine is the kingdom, and the power, and the glory forever. Amen. »
Je fus alors plongé dans le noir, soigneusement calé au fond de la poche de mon GI.
Départ pour la France
Après un bref repos, je subissais une forte secousse, certainement par le saut dans la barge où de nombreux soldats se trouvèrent déjà. La mer fut moyennement agitée. Le voyage dura des heures. A plusieurs reprises, je ressentis comme une caresse. Plusieurs fois, en fait mon GI me toucha pour s’assurer de ma présence. Je fus profondément impressionné par le silence environnant, personne ne parlait, la barge était pourtant pleine d’hommes. Je le sentais par les contacts extérieurs du treillis car de temps en temps le voisin de mon GI nous toucha à plusieurs reprises. Le temps m’avait paru une éternité. Nous étions cependant bercé par les vagues et le murmure de la mer, cela était plutôt rassurant car nous n’étions pas en perdition mais nous avancions vers le but, la France.
Tout d’un coup, j’entendis des ordres d’une voix forte et très brève. Ils furent suivis par un bruit d’éclaboussement ; quelque chose de lourd serait tombée dans la mer. Il fut suivi par une bousculade, les hommes se jetaient à l’eau. Je sentis bientôt un contact humide, la couleur marron de ma couverture imprégna la tranche jaune orangé. Dans ce tumulte, j’entendis le sifflement des balles et les explosions d’obus lors de l’impact sur les bateaux de toutes parts. De temps en temps, on entendit le cri de détresse d’un soldat qui avait été grièvement ou mortellement atteint. Ces cris furent toujours brefs et recouverts par le bruit des armes en action qui venaient par devant mais aussi par derrière. Quelque temps après, j‘avais compris que nous étions sur du sable à cause de l’amortissement doux des rangers sur le sol. Je ressentis un grand soulagement d’être sur la terre ferme. Je craignais d’être englouti avec mon GI dans les flots. Je n’aurais pas pu vous raconter mon histoire !
Il a dû courir quelques centaines de mètres avant de se jeter à terre où il resta un bon moment. Puis, il avança par bond de quelques mètres. Ensuite, j’entendis des échanges de voix, je supposais que mon GI avait rejoint d’autres compagnons d’armes et qu’ils s’étaient regroupés sous le commandement d’un officier. J’entendis qu’ils se comptaient. Hélas, j’entendis aussi l’évocation d’un nombre important de manquants. Qu’étaient-ils devenus ? Heureusement, je ne voyais rien car en entendant parler, je supposais qu’ils ne devaient pas être beau à voir ceux qui manquaient.
Au fur et à mesure que mon compagnon avançait, je sentis l’air frais et cela sentait bon la campagne. Le vacarme du début s’était calmé progressivement et l’atmosphère devint plus paisible. Apparemment, il n’y avait pas de résistance à proximité. J’entendis des ronflements, cela devait être la première nuit après « le jour le plus long » ! Le lendemain j’entendis un bruit de moteur. Les secousses me faisaient penser que l’on se déplaçait en jeep.
Les jours qui suivirent me donnèrent l’impression d’être une grande partie du temps en déplacement. Selon le bruit des moteurs, il y avait une alternance de transport en camion ou véhicules légers. Le soir, je fus sorti de la poche du treillis pour une courte lecture. Comme les pages de la fin furent plus souvent consultés que les autres, je déduisais qu’il s’agissait de la lecture de psaumes, cependant d’autres pages du début furent feuilletées, s’agissait-il de lecture d’un chapitre d’un évangile ? Ce train-train quotidien dura six mois.
Je sens que vous impatientez pour savoir quel événement extraordinaire m’était arrivé ?
Un jour où mon compagnon passait dans le couloir de l’immeuble d’angle, situé au 12 avenue de Plantières à Metz (ville où La Fayette avait pris la décision de partir vers la côte française et s’embarquer sur un bateau pour venir en aide à la jeune République Américaine), il croisa un garçon de 7 ans qui l’accosta et lui demanda : « chocolate please ! » Mon GI fouilla soigneusement toutes les poches du treillis, il ne trouva rien que moi-même, the Sacred Book. Il me sortit et me tendit au jeune garçon, en faisant signe avec ses mains qu’il n’y avait rien d’autre à offrir. Ma couverture était bien de couleur de chocolat au lait, mais l’enfant semblait déçu car il s’attendait à une friandise ! Il a dit : « Thank you », mais sans enthousiasme.
Le garçon alla me montrer à sa maman qui m’examina attentivement. Elle déclara que j’étais une portion de la Bible, la Parole de Dieu. Elle lui recommanda de bien en prendre soin car plus tard, il sera apte à me lire et apprécier mon contenu à sa juste valeur. Je me retrouvais donc à une place d’honneur dans le rayonnage attribué au garçon dans la bibliothèque familiale. De temps en temps il me feuilleta, peut-être dans l’espoir de découvrir l’identité de mon compagnon de combat. Cependant, comme le recommandaient les autorités militaires pour que l’ennemi ne puisse profiter de cette information, le nom de mon GI n’y était pas.
Il contempla en particulier le drapeau américain, seule page en couleur ! Cela lui sembla plus accueillant que la croix gammée qu’on lui avait appris à fuir dès qu’elle était en vue. Sa mère lui avait d’ailleurs strictement défendu d’accepter quelque chose de la main d’un soldat allemand. La rumeur circulait que ces derniers empoissonnaient les enfants.
Mon GI habita l’immeuble du garçon car il avait comme mission, lui et ses camarades de diriger la circulation, à partir du centre du carrefour, de tous les engins militaires vers l’Allemagne, située à environ 80 km. A tour de rôle, ils se plaçaient au milieu du carrefour avec un bâton et des gants blancs. Ils étaient coiffés d’un casque où il était écrit en grosses lettres « MP » (Military Police). Ils partirent environ un mois plus tard pour aller vers l’Allemagne. Avant de partir ils apprirent au garçon quelques expressions courantes comme « Hello », « My name is… » « How are you ? » Les relations étaient très détendues et amicales, sans comparaison avec la présence des militaires allemands. D’ailleurs, avec eux il n’y avait aucun échange verbal, sinon des interjections « Achtung » avec un geste de la main qui signifiait qu’il fallait dégager le passage le plus vite possible en vociférant « Schnell ! »
Où est ton père ?
Un jour le jeune garçon me consulta et tomba sur « Le Notre Père ». Les mots « Our Father » le firent sursauter ! En effet, la première fois qu’il se trouva nez à nez avec un GI, il entendit le mot « Father ». Ce dernier avait cogné vigoureusement contre la porte fenêtre vitrée en verre multicolore. Ce mobilier urbain était dans la tradition des maisons bourgeoises de l’époque. Cette porte donnait sur l’escalier intérieur. Voyant la silhouette d’un homme avec une mitrailleuse, il était rempli de craint en ouvrant la porte. Le militaire baissa son arme lorsqu’il vit qu’il était devant un enfant. Celui-ci lui demanda d’une voix forte : « Where is your father ? »
Ce GI avait comme mission de prendre possession de l’immeuble, en venant par l’arrière du bâtiment avec une échelle pour atteindre la terrasse, pour être à la hauteur de cette porte. Cet édifice était situé en face d’un pont routier, franchissant une rivière et à côté un autre pont de chemin de fer, défendu par les Allemands. Le garçon avait appris l’allemand et fit la relation avec le mot « Vater » (que l’on prononce « fatère ») en allemand.
Le garçon remplit la mission demandée en l’emmenant vers son père qui s’était caché pour ne pas être pris en otage par les allemands. Il avait été réquisitionné pour travailler à l’usine d’électricité destinée à l’alimentation de la ville et avait un « Ausweiss » (sauf-conduit) donnant l’autorisation de rester à la maison pour être convoqué en cas de besoin. Mais à la « débâcle des Allemands » ce papier n’avait plus aucune valeur. Comme il avait été aussi réquisitionné, peu de temps avant, par les autorités allemandes pour creuser des tranchées, il connaissait parfaitement les positions préparées pour la défense. Il en fit un croquis précis, là dans la cuisine à la lueur d’une bougie où il avait invité l’Américain à s’asseoir. Les Allemands avaient donné l’ordre d’évacuation de tous les civils, donc il ne fallait pas de lumière qui pourrait trahir la présence de personnes. Il a recommandé au commando de ne pas se montrer, à découvert, au carrefour car les Allemands étaient installés dans le poste d’aiguillage qui surplombait l’ensemble des sites cités plus haut.
Quelques Américains placés sur le carrefour essuyèrent des coups de feu. Le premier fut tué sur le coup par un tireur d’élite, d’autres furent seulement blessés et évacués à l’aide d’une ambulance militaire qui fit marche arrière en laissant la porte ouverte. Tous les blessés avaient pu être évacués. Le chef du commando suivit le conseil du père du garçon, en se dirigeant le matin très tôt, en contournant tous les points stratégiques aux mains des Allemands, pour attaquer le poste d’aiguillage, tenu par des SS, par derrière où il n’y avait pas de fenêtres. Les Américains n’avaient pas eu à combattre car dans la nuit, les combattants avaient abandonné ce poste, certainement jugé trop isolé pour résister.
L’ensemble du quartier fut donc libéré, avec seulement un soldat américain tué et un capitaine allemand fuyant à cheval qui n’avait pas tenu compte de la mise en demeure « hands up ». Ce ne fut pas le cas pour d’autres quartiers de la ville où les pertes en vie humaines furent importantes aussi bien du côté des militaires américains que des civils.
Le « 5 o’clock » du professeur anglais
Lorsque mon nouveau protecteur se rendit au lycée quelques années plus tard, un de ses professeurs d’anglais eut à cœur de faire connaître le « best seller » de son pays natal, les Iles Britanniques. Comme il était respectueux des autorités, il demanda un entretien au proviseur du lycée pour lui exposer son désir de faire connaître la Bible, le livre le plus lu et apprécié par ses concitoyens. Il se vit attribuer un refus catégorique car selon le proviseur, la République Française étant laïque, on se devait de protéger les enfants de toutes influences néfastes, quelque soit sa nature, religieuse ou autre. Toutefois, il lui expliqua que nous étions dans un pays de liberté, donc il pouvait faire ce qu’il voulait en dehors des établissements scolaires.
Le professeur demanda donc la possibilité de réunir ses élèves dans une salle placée sous l’autorité de pasteurs protestants, qui, selon lui, ne devaient pas s’opposer à l’enseignement de la Bible. Il en consulta trois, environ, en recevant une réponse négative de chacun. Ces pasteurs se demandèrent quel était cet étranger de Grande Bretagne pour accaparer et détourner leur jeunesse ? (Cela fait penser aux réactions que Jésus avait vécu lorsqu’il enseignait dans les synagogues : « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth ou de la Galilée ? »)
Ce professeur, lecteur assidu de la Bible, tomba sur le psaume qui déclare que tout sur terre appartient à Dieu. Il s’est dit : « Je suis stupide de demander une autorisation à un homme qui n’est pas le dépositaire universel de la terre. » L’Esprit lui rappela la mission que Jésus avait laissée à ses disciples : « Vous serez mes témoins à Jérusalem… jusqu’aux extrémités de la terre. » Il organisa donc des randonnées avec ses élèves. Il marcha des heures, puis à « five o’clock », il s’arrêtât pour faire une halte, fît du thé à l’aide d’un réchaud et sortit des cookies qu’il distribua pour apporter de la nourriture au corps. Puis, il déclara que l’homme de vivait pas de pain seulement mais aussi de toutes paroles sorties de la bouche de Dieu. Il sortit un Nouveau Testament de poche et nous fit une lecture en commentant le passage biblique. C’est ainsi que mon jeune protecteur découvrit une autre façon de partager la « Parole de Dieu », comme dit le cantique : « Ta parole est partage, comme on coupe du pain, Ta parole est passage, qui nous dit un chemin ».
Mission accomplie
Quelques années plus tard, je reçus un petit frère : « The New Testament, traduction Today’s English Version de l’American Bible Society ». Puis ce fut le tour d’un grand frère : « Good News Bible, Today’s English Version ».
Je conservai la place d’honneur dans la bibliothèque. Cependant, je ne fus plus manipulé aussi souvent. Je fus traité comme un vétéran dont il faut prendre soin et ne pas trop bousculer ! Il est vrai que je suis une version de 1611 et reste difficile à lire pour les non anglophones ! Je ne suis pas jaloux, car après tout, j’ai remplit ma mission à savoir que la Parole de Dieu soit connue par tous les hommes. Mes frères respectent parfaitement le sens de la pensée de Dieu, c’est le plus important pour moi. Je suis un peu comme Jean Baptiste qui avait préparé le chemin du Seigneur et dit « il faut qu’il croisse et que je diminue. »
Mot de Carol Larrey
Avant de décéder, François Morell (« le petit garçon » de l’histoire) m’a confié ce texte où il attribue sa découverte de la foi en Jésus-Christ à cet exemplaire de la Parole de Dieu et aux randonnées organisées par ce professeur.
Prenant le relais, le « petit garçon » devenu grand organisait des randonnées et, au cours d’une halte, sortait un Nouveau Testament pour lire un passage et le commenter. A ces occasions, il offrait des exemplaires (en français !) et ne manquait pas d’évoquer l’histoire du « Sacred Book » qu’il chérissait tant.