« Trois mots feront par tout le vrai département
Des contraires raisons : seul, seule et seulement.
J’ai prêché que Jésus nous est seul pour hostie
Seul sacrificateur qui seul se sacrifie :
Les docteurs, autrement, disent que le vrai corps
Est sous pain immolé pour les vifs et les morts,
Que nous avons besoin que le prêtre sans cesse
Resacrifie encore Jésus Christ en la messe.
J’ai dit que nous prenons, prenant le sacrement,
Cette manne du ciel par la foi seulement :
Les docteurs, que le corps en chair et en sang entre
Ayant souffert les dents, aux offices du ventre.
J’ai dit que Jésus seul est notre intercesseur
Qu’à son père l’accès par lui seul nous est sûr ;
Les docteurs disent plus et veulent que l’on prie
Les saints médiateurs et la Vierge Marie.
J’ai dit qu’en la foi seule on est justifié
Et qu’en la seule grâce est le salut fié :
Les docteurs autrement et veulent que l’on fasse
Les œuvres pour aider et la foi et la grâce.
J’ai dit que Jésus seul peut la grâce donner
Qu’autre que lui ne peut remettre et pardonner :
Eux que le pape tient sous ses clefs et puissances
Tous trésors de l’Eglise et toutes indulgences.
J’ai dit que l’Ancien et Nouveau Testament
Sont la seule doctrine et le seul fondement :
Les docteurs veulent plus que ces règles certaines
Et veulent ajouter les doctrines humaines.
J’ai dit que l’autre siècle a deux lieux seulement
L’un le lieu des heureux, l’autre lieu du tourment ;
Les docteurs trouvent plus, et jugent qu’il faut croire
Le limbe des enfants, des grands, le purgatoire.
J’ai prêché que le pape en terre n’est point Dieu
Et qu’il est seulement évêque d’un seul lieu :
Les docteurs lui donnant du monde la maîtrise,
Le font visible chef de la visible Eglise.
Le tyran des esprits veut nos langues changer
Nous forçant de prier en langage étranger :
L’esprit distributeur des langues nous appelle
A prier seulement en langue naturelle.
C’est cacher la chandelle en secret sous un muid (boisseau) :
Qui ne s’explique pas est barbare à autrui.
Mais nous voyons bien pis en l’ignorance extrême
Que qui ne s’entend pas est barbare à soi-même.
O chrétiens ! choisissez : vous voyez d’un côté
Le mensonge puissant, d’autre la vérité ;
D’une des parts, l’honneur, la vie la récompense,
De l’autre ma première et dernière sentence ;
Soyez libres ou serfs sous les dernières lois
Ou du vrai ou du faux. Pour moi j’ai fait le choix :
Viens, Evangile vrai. Va-t-en fausse doctrine !
Vive Christ, vive Christ ! Et meure Montalchine "
Extrait du poème poignant, Les Tragiques tome IV, Les Feux, (vv. 654-706). Agrippa d’Aubigné nous livre le témoignage de Montalchine, moine capucin italien qui fut condamné par le pape Clément VIII à être brûlé à Rome en 1533 pour avoir prêché la Réforme.